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"T'es mon seul véritable ami, je ne voudrais pas te perdre"




L'amour d'amitié
(extraits d'un texte anonyme trouvé sur Internet trouvé ici
http://syndrome-de-peter-pan.com/crbst_44.html) (qui est tiré de celui ci )
    "Il est très frappant de voir que la disparition de l'amour d'amitié et de la culture de l'amitié dans la littérature
contemporaine coïncide avec l'arrivée sur le devant de la scène, par le biais de cette même littérature, de
l'homosexualité. On peut dater ce phénomène à peu près du tournant du XIXe au XXe siècle, avec les dernières
grandes amitiés masculines dont témoigne la littérature. Je pense à la correspondance entre Jacques Rivière et
Alain Fournier qui date du début du XXe siècle et qu'évidemment aujourd'hui on lit à tort comme étant
«crypto-homosexuelle ». Certes, au même moment, avec Oscar Wilde, André Gide et Marcel Proust,
l'homosexualité acquérait ses « lettres de noblesse » dans la littérature et, à travers elle et d'autres arts, dans la
société.
Je suis convaincu qu'il est nécessaire de redécouvrir aujourd'hui l'amour d'amitié selon toutes ses modalités
d'expression, ce que les Grecs appelaient la philia et qu'ils distinguaient de l'éros. La philia consiste à trouver son
bonheur dans le partage avec l'autre de la recherche vertueuse de la Sagesse, c'est-à-dire inséparablement de tout
le vrai et le bien qui finalisent et donnent sens à la vie humaine, car celle-ci ne trouve qu'en eux un bonheur
digne d'elle.
 Personne ne peut atteindre le bonheur uniquement par le chemin de l'éros. Tout amour, pour qu'il soit durable,
doit entrer dans la philia et sans doute, ultimement, dans ce degré suprême que la religion chrétienne a appelé
l'agapè : la charité.
 
 

III POUR UNE REDÉCOUVERTE DE L'AMITIÉ
 

Plus la relation d'amitié devient ouverte, libre et profonde, plus elle permet d'intégrer d'autres personnes dans une
vie affective non-exclusive.

Aujourd'hui, nous sommes dans le paradoxe d'une permissivité dans le domaine sexuel et d'un refoulement
puritain de l'affection entre hommes dans le domaine de l'amitié. Les femmes réussissent mieux : il existe
davantage de possibilités d'expression de l'affection entre elles, sans que cela soit considéré comme une
proposition sexuelle. Mais, chez les hommes, on constate actuellement en Occident un grand refoulement
affectif. Je pense que cela doit commencer dans la relation des pères à leurs fils. Ce refoulement explique pour
beaucoup la montée actuelle de l'homosexualité. En effet, notre culture ne propose plus comme modèle affectif le
chemin de l'amour d'amitié. En même temps on propose, comme réponse au besoin affectif, une permissivité
sexuelle croissante sans aucune éducation sentimentale.
 

Pour une éducation sentimentale
 

Il faut oser proposer à nouveau une vraie éducation sentimentale. La lecture des oeuvres littéraires en constituait
une et elle permettait à beaucoup jeunes gens de ne pas passer trop vite à l'acte, tout en affinant et en
épanouissant leur affectivité amoureuse naissante. Cette éducation retardait le moment de la relation sexuelle
jusqu'au mariage, tout en développant les qualités de cœur à travers l'amitié. L'éducation sentimentale permet,
en effet, de gérer les échanges affectifs entre les personnes de façon à ce que la sexualité puisse s'exprimer dans le
cadre qui est le sien, à savoir le mariage, mais aussi pour que se développent de réelles amitiés. Il est important
que les célibataires, mais aussi les personnes mariées, connaissent cette amitié réciproque, car elles peuvent
beaucoup s'apporter entre elles. Les gens mariés ont besoin, eux aussi, de cette amitié : l'amour conjugal ne suffit
pas. Beaucoup de couples ne tiennent pas aujourd'hui à cause du manque d'amour d'amitié.
 

D'où vient cette carence ? Sans doute de la très grande compétitivité qu'impose notre société moderne où les
individus sont mis en concurrence. Les solidarités que connaissaient les sociétés plus archaïques, où il fallait avoir
des amis pour tenir, n'existent plus aujourd'hui : chacun est livré à lui-même. Comme le besoin affectif demeure,
que reste-t-il pour le combler ? Une sexualité désordonnée. Elle est la conséquence d'une très grande pauvreté
affective et sentimentale.
Quand on regarde les modèles d'amitié que proposent l'histoire et la littérature, on voit que les personnes
s'ennoblissent sur ce chemin.
 
 

IV L'AMOUR D'AMITIÉ.
 
 

Un amour oblatif
L'amour d'amitié se distingue de l'amour de convoitise, lequel est orienté vers les biens purement sensibles,
c'est-à-dire des biens inférieurs à la noblesse de la personne humaine. Ces biens, en effet, ne sont pas aimés pour
eux-mêmes, mais pour notre propre avantage. « L'attachement pour les choses inanimées ne se nomme pas
amour d'amitié. En effet, il n'existe pas d'attachement en retour, et nous ne voulons pas le bien pour elles. Il
serait sans doute ridicule de vouloir du bien au vin ! Toutefois, on veut qu'il se conserve, de façon à l'avoir pour
soi ! » (Éthique à Nicomaque, livre 5, chapitre 2, 1155 b 27-31). Cet amour de convoitise est donc narcissique,
égocentrique. L'amour d'amitié, au contraire, est toujours oblatif : on aime l'ami pour lui-même et c'est
seulement ainsi que l'on trouve du bonheur à l'aimer. Notre amour s'achève et se repose en l'ami lui-même et
non d'abord dans notre plaisir. Voilà pourquoi l'ami ne peut être qu'une personne humaine, puisqu'on ne peut
aimer d'une manière oblative qu'un bien qui a une certaine valeur absolue. Or seul, parmi les réalités visibles,
l'homme se présente à nous comme quelqu'un dont la dignité s'impose comme égale à la nôtre. « Il serait indigne
d'en user. Mais de toutes les autres réalités, il est légitime d'user. Pour l'ami, nous disons qu'il faut vouloir ce qui
est bon pour lui » (Éthique à Nicomaque, livre 5, chapitre 2, 1155 b 31).
 
 

De l'amour envie à l'amour désir
La première caractéristique de l'amour d'amitié est donc l'oblativité. Certes ce n'est pas la seule, mais elle en
constitue la caractéristique essentielle.
Il me semble que tout l'enjeu consiste à passer d'un amour-envie à un amour-désir. On a envie de quelque chose;
on peut avoir aussi envie de quelqu'un, mais alors on est déjà en train de le traiter comme une chose. C'est ce que
disait Aristote à propos du vin. On peut croire qu'on aime quelqu'un parce qu'on a envie ou besoin de lui. Je ne
dis pas que l'amitié est sans utilité ; mais cela ne viendra qu'en second lieu. On a besoin non seulement des choses
inanimées mais aussi de l'amour d'autrui. Il y a une part de besoin et donc de convoitise dans l'amour d'amitié.
C'est quelque chose qui nous est nécessaire pour nous accomplir dans notre humanité.
 

Il ne faut donc pas avoir honte de cet aspect de besoin que comporte même l'amour d'amitié ; mais il faut savoir
s'il va être premier ou non, si c'est lui qui finalise ou non la relation entre les êtres humains. Est-ce que cette
relation va être commandée d'abord par l'envie qu'on a de l'autre ? Vais-je d'abord me demander si j'ai envie ou
non de la personne que je rencontre ? Tant qu'on en reste à l'envie et à la convoitise, cela montre qu'on n'est pas
descendu jusqu'au désir du cœur. Mais alors, qu'est ce que le désir de l'autre, s'il n'est pas d'abord la convoitise ?
 

Le désir vise un bonheur au-delà du plaisir.
Dans le vocabulaire courant, le mot désir est extrêmement dégradé ; souvent il n'est utilisé que pour désigner la
pulsion sexuelle. Or le désir, c'est le désir d'aimer et d'être aimé. Le désir, c'est ce qui me tourne vers l'autre
personne. C'est quelque chose de très noble. Certes, il peut déclencher la pulsion sexuelle, mais c'est quelque chose
d'infiniment plus profond qu'elle. Si nous revenons sur notre vécu affectif, nous constatons que notre désir était
infiniment plus profond que les envies successives que nous avons pu avoir.
 

Tout l'enjeu de l'amour d'amitié réside dans la question : est-ce qu'on va se tromper en suivant son désir ? Est-ce
qu'on va descendre assez profondément dans son cœur pour atteindre vraiment ce niveau du désir, ou est-ce
qu'on va croire être dans le désir du cœur alors qu'en fait on en reste à des envies successives et finalement
décevantes. On va de convoitise en convoitise et on en reste au type d'amour qui correspond aux choses
inanimées et non pas aux personnes. Mais, à force de courir après ses envies, on finit par perdre son cœur, parce
qu'on a mis son cœur dans des choses qui n'avaient pas la noblesse pour laquelle l'homme est fait. Il est normal
qu'on use des choses et que notre rapport à elles soit commandé par le besoin, même si on ne doit pas s'asservir
aux choses. L'asservissement à l'autre, soit parce qu'on utilise cet autre, soit parce qu'on se met par rapport à lui
dans une telle dépendance que c'est lui qui nous utilise, montre qu'on en est resté au domaine des envies. Cela ne
veut pas dire que dans le désir du cœur on n'a pas besoin de l'autre. On en a certes besoin mais à un niveau
beaucoup plus profond que celui de l'envie. Il ne faut donc pas avoir honte ni peur de regarder ce besoin, mais il
faut aller le chercher au cœur du désir d'amour et ne pas le confondre avec le besoin, tel qu'on peut l'avoir par
rapport à une chose. Dans l'amour on a besoin que l'autre existe et accepte d'exister en communion avec nous,
mais ce besoin, parce qu'il vise la personne elle-même, nous respecte l'un et l'autre dans notre liberté, à la
différence de la pulsion et de l'envie.
 

Quel est mon désir réel ?
 

Il faut oser regarder en face notre désir d'amour, ne pas en avoir peur et, pour cela, creuser assez profond en lui.
Nous sommes trop souvent des miroirs les uns pour les autres, miroirs qui peuvent être fascinants à certains
moments et repoussants à d'autres, si on en reste au niveau superficiel de la convoitise. C'est important de
reconnaître en soi-même son désir d'amour et de le recevoir aussi des autres.
On porte ce désir d'aimer et d'être aimé par quelqu'un. Cela ne veut pas dire que c'est un désir exclusif, sauf dans
l'amour conjugal. Mais c'est un désir d'amitié qui est autre chose qu'une convoitise. Celle-ci est mauvaise parce
qu'elle ne vise pas la personne aimée comme telle. Dans la convoitise, on ne se laisse pas toucher par l'autre en
tant que personne. On rabaisse l'autre au rang d'une chose. En revanche, il appartient à la noblesse de l'homme
de désirer aimer et être aimé par un sujet autonome. C'est même là que réside l'enjeu fondamental de la vie
humaine dans sa relation avec autrui. Celle-ci est placée sous le signe de l'amour et il ne faut pas avoir peur de
cela ; non de l'amour de convoitise, certes, mais d'un amour qui désire une vraie relation interpersonnelle.

L'amour conjugal n'est pas la forme ultime de l'amour entre les humains.

On ne voit pas pourquoi l'amour d'amitié n'existerait que dans cette forme tout à fait particulière qu'est l'amour
conjugal. Je dirais que, l'amour conjugal étant unique et exclusif, il est en cela exceptionnel. Il n'est qu'une
réalisation très particulière dans le champ si vaste de l'amour d'amitié. Or l'amour d'amitié donne sens au désir
affectif de l'homme dans toute son ampleur, même si c'est l'amour conjugal qui seul a pour mission de
transmettre la vie humaine dans la cellule de la famille et de contribuer ainsi par la procréation à la propagation
de l'espèce humaine. C'est l'amour d'amitié qui donne goût à la vie, selon cette parole de la Bible: « Un ami fidèle,
c'est un élixir de vie ». Un élixir de vie fait qu'on a envie de continuer à vivre. L'élixir, c'est ce qui vous maintient
jeune alors que vous vieillissez, et qui vous donne envie de vivre pour vos amis. Dans l'amour conjugal, on donne
la vie à ses enfants ; dans l'amour d'amitié, on trouve et on donne le goût de vivre.

« Avoir » quelqu'un est-ce l'amour ?

C'est donc à ce niveau que se situe le besoin de l'amour d'amitié. On est toujours tenté de rabaisser ce besoin, qui
vient du désir d'amour interpersonnel, pour en faire une envie, la convoitise d'« avoir » quelqu'un. « Avoir »
quelqu'un, voilà une expression terrible, même quand elle est dite à la légère. Cela peut même prendre le sens le
plus atroce : je vais l'« avoir », au sens de lui tendre un piège pour le posséder, même quand je veux qu'il soit à
moi. Même l'expression banale « j'ai un ami » est un peu piégée, parce que l'ami ne nous appartient jamais au
sens de l'« avoir ». Dans l'amitié s'opère le passage de l'avoir à l'accueil de l'autre dans son être personnel.
Aimer d'amitié, c'est « exister » pour quelqu'un. Vouloir exister pour quelqu'un, c'est se mettre en peine pour lui
montrer qu'il compte pour nous et que c'est un bonheur d'être en relation avec lui. C'est aussi exister pour lui, en
lui disant par tout notre comportement : « J'existe pour toi, je compte pour toi, ce que je suis et ce que je fais pour
toi a de l'importance pour toi aussi et te rejoint ». C'est un don réciproque et gratuit, c'est pourquoi il ne donne
pas de droits sur l'autre. L'avoir donne des droits ; tout le domaine de l'économie, du commercial, est régi par
l'avoir. Le domaine de l'avoir est régi par la justice : « donnant-donnant ». La justice, c'est la mesure dans
l'échange et dans les partages. Alors que dans le domaine de l'amitié, on touche à l'être personnel qu'on n'a pas le
droit de posséder.
 

L'appartenance mutuelle dans le mariage pour faire ensemble une vie familiale
Voici la particularité du mariage : dans l'échange des consentements conjugaux, l'époux dit : « Je te prends pour
épouse et je me donne à toi ». Et 1'épouse dit de même : « Je te prends... et je me donne ». Il y a vraiment un
échange, ce sera l'échange des corps. C'est très beau, mais ce sera toujours une tentation dangereuse que de
vouloir imposer à tout amour d'amitié, aussi intense soit-il, un accomplissement sous forme « d'avoir », tel qu'il
existe dans l'amour conjugal. Celui qui est ami et non conjoint, n'est jamais à moi.
 

L'amitié dans sa gratuité laisse l'autre à sa vie.
Dans l'amitié, j'existe pour l'ami et il existe pour moi. La modalité de l'amour d'amitié n'est pas exclusive car elle
ne vise pas à l'avoir comme conjoint pour faire sa vie ensemble, elle est fraternelle et non conjugale. D'ailleurs,
l'aboutissement parfait de l'amour conjugal lui-même, par delà la mission familiale de la procréation et de
l'éducation des enfants, c'est l'amour d'amitié. Mais cela s'accomplit justement une fois que l'appartenance
exclusive, liée au couple en vue de la procréation et de la famille, s'est dépassée dans une vraie amitié fraternelle
entre le mari et la femme.
Dans l'amour d'amitié, nous n'avons pas de droits. C'est la grande pauvreté, et la grande beauté en même temps,
de l'amour d'amitié que d'être vécu les mains ouvertes. Les mains ouvertes pour donner, les mains ouvertes pour
recevoir, mais sans jamais se refermer sur le don. Il est très significatif que, dans l'échange des consentements
conjugaux, le mari et la femme se prennent la main pour se dire : « Je te prends pour épouse et je me donne à
toi », « Je te prends pour époux et je me donne à toi ». Ils se prennent la main pour se donner. Il peut être
important et pleinement légitime de serrer les mains d'un ami, mais ce n'est pas pour les prendre. Cela veut dire :
« J'existe pour toi ». Cela ne veut pas dire: « Je te prends » ou « tu me prends ». S'il en va ainsi pour les mains,
on comprend pourquoi la prise de possession de l'autre, que comporte l'acte sexuel, est inadéquate dans l'amour
d'amitié. Dans celui-ci, on renonce à prendre possession de l'autre ou à vouloir être pris par l'autre. Cela ne veut
pas dire qu'on doive renoncer à toute manifestation sensible de tendresse, à toute intimité corporelle, mais pour
que cette manifestation reste vraie il faut être au clair avec son propre désir. Il ne faut pas éluder des questions
comme : Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Qu'est-ce que je suis en train de rechercher ? Est-ce que je suis
en train d'aller à la rencontre de l'ami ou est-ce que je suis en train de mettre la main sur lui pour me
l'approprier ?
 

Face à l'angoisse de l'abandon, les mains ouvertes de l'amitié
Il faut regarder les choses en face : notre angoisse à tous, c'est l'angoisse d'être abandonné. Nous en avons une
peur terrible, c'est probablement, notre blessure fondamentale : ne plus être aimé, être « lâché ». Alors, cela
donne toute sorte de comportements défensifs, souvent névrotiques. On a tellement peur d'être « lâché » qu'on
« lâche » à l'avance ; ou, au contraire, on s'accroche de manière désespérée. Tous ces comportements montrent
qu'on n'est pas au clair avec son propre désir et que d'une certaine manière on s'enfonce dans une voie sans issue.
Plus on s'obstine à vouloir « avoir » quelqu'un, plus il nous échappe.
Dans l'amour d'amitié, on ne peut qu'être dans une attitude de mendiant. Si cet amour est si beau, s'il peut être
un lieu spirituel, c'est qu'il nous met dans une attitude de profonde humilité. Il implique que l'on devienne non
pas dépendant de l'autre, parce que la dépendance par rapport à l'autre est une forme de convoitise, mais relatif à
l'autre. On devient relatif à l'autre en acceptant que son amour pour nous ne nous est pas dû. On lui dit : « Si tu
veux, si tu veux bien de moi, si tu veux accepter que j'existe pour toi, si tu veux que j'aie une place dans ton cœur,
dans le chemin de ta vie, et bien je suis là et c'est ma joie ! ». Quand on se positionne comme cela, on se rend
compte que finalement tout devient plus simple. On peut mettre très longtemps à s'en rendre compte et avoir
beaucoup de mal à y croire. Mais une fois qu'on s'est décidé à aborder ainsi ceux dont on désire l'amitié, il est bien
rare qu'on essuie des refus, sinon parce que l'autre n'ose pas encore y croire. C'est un don, un grand don, c'est une
grâce. Il n'est pas donné de le vivre avec tout le monde.
 

Blessé par l'amour d'amitié
 

Dans l'amitié il y a l'amour bienveillant et désintéressé accompagné de l'affection du cœur. Il ne nous est pas
donné d'avoir de l'affection pour tout le monde et il ne faut pas s'inquiéter de cela. L'affection, c'est un mystère : il
semble que nous percevions certaines personnes à un niveau si profond d'elles-mêmes, que le fond de leur être
nous blesse d'amour. Je n'hésite pas à employer le mot « blesser » : on est blessé dans l'amour d'amitié autant
que dans l'amour conjugal.
Blessure, au sens où la blessure ouvre et fait qu'on est relatif à l'autre. Le signe de l'affection d'amitié, c'est qu'il se
produit comme une vulnérabilité à l'être le plus personnel de l'ami, comme une intuition qui fait rejoindre
justement l'autre non pas dans tel ou tel aspect extérieur (attirant ou pas attirant), justement pas dans tout ce qui
susciterait les convoitises, les envies ou les répulsions. L'amitié nous fait toucher ce que l'autre a d'absolument
unique.
 

Affection et beauté dans l'amour d'amitié
 

Dans l'amitié, il nous est donné de percevoir la beauté de la personne humaine, sa beauté unique. Ce n'est pas
une beauté standard, qui fait « flasher » pour elle parce qu'elle correspond à notre type, parce qu'elle nous séduit
idéalement. Ce n'est pas du tout cela, c'est même tout le contraire ! Il s'agit de saisir l'autre, de le toucher et d'être
touché par lui au niveau le plus profond de soi-même, qui fait qu'à ce moment il va nous devenir cher. C'est cela
l'affection du cœur. Etre affecté c'est être touché. Cela se passe dans un regard, une inflexion de voix, un geste,
une manière de marcher. Ce n'est pas nécessairement ce que la personne a de plus beau, c'est souvent tout au
contraire très lié à ce que l'autre a de plus fragile, de plus vulnérable. Ce n'est pas du tout ce qu'elle a de plus fort.
C'est pourquoi on est loin, si loin, dans l'amour d'amitié de tout le domaine de la séduction. Dans celle-ci, il y a un
tel égarement narcissique du désir ! La séduction utilise à fond justement la convoitise pour capter, captiver
l'autre malgré lui ; alors que l'amour appelle l'autre dans sa liberté et donc met l'un et l'autre à nu dans ce qu'ils
ont de plus pauvre, de plus humble.
 

Une relation unique...
 

L'amour d'amitié, c'est d'accueillir l'autre, de se laisser toucher par l'autre en le rejoignant à la fine pointe de sa
personnalité, là où il est unique et donc complètement irremplaçable. Lorsqu'on a touché ce point, on est délivré
de tout exclusivisme, parce qu'on sait que de toute façon, l'amitié entre deux personnes se situant à ce niveau
unique, chaque relation d'amitié sera toujours unique. Il n'y a aucun souci à se faire. Si l'ami a d'autres amis,
cela est tout à fait souhaitable et doit nous réjouir. En effet, le « parce que c'était lui, parce que c'était moi » de
l'amitié selon Montaigne n'est pas interchangeable et chaque ami est unique.
 

 ...mais non-exclusive
 

L'amitié n'est pas exclusive, car elle met en relation des personnes à partir de ce que chacune a d'unique. Je serai
donc toujours unique pour mon ami. Dans notre amitié personne ne pourra me remplacer, jamais. De même,
l'ami restera toujours unique pour moi. Même s'il y a, c'est sûr, des limites à la multiplication des amitiés parce
qu'on est dans le temps, il y a dans l'amitié une sorte d'aspiration à l'éternité qui veut donc que ces amitiés se
multiplient. Notre capacité d'amitiés est limitée par notre vie, par nos journées de vingt-quatre heures, par notre
travail, du fait qu'on ne peut pas honorer, donner un minimum de temps à une multiplicité d'amitiés. Mais
potentiellement l'amitié doit rester ouverte à tout être humain.
 

Reçue comme un don
Le signe de cela, c'est que nos plus belles amitiés ne sont pas celles que nous avons d'abord choisies. Bien sûr, il y
a toujours un choix dans l'amitié, et il faut qu'il y ait un choix, mais le choix n'est pas premier. Il y a des êtres qui
nous sont comme donnés. Donnés, parce qu'on les rencontre, car on aurait pu ne pas les rencontrer. Donnés
ensuite parce qu'un déclic se produit, mais sans l'avoir prévu ni même voulu à l'avance. Il n'y a pas eu de projet
de mainmise, comme dans la convoitise. Parfois même c'est sur un laps de temps assez long que ce déclic se
produit. Il y a des personnes qui ne sont que « bons amis » pendant un certain temps, c'est-à-dire des personnes
qui ressentent une sympathie réciproque. Mais on n'est pas blessé d'amour tant qu'on n'a pas pressenti ce que
l'autre a d'absolument unique. On le sait intellectuellement, mais on ne l'a pas ressenti. Or l'affection de l'amitié,
on la sent.
 
 

Don que l'on peut ressentir, accueillir et ratifier
Cette affection indique quelque chose d'extrêmement important, qui est l'ouverture du cœur au-delà de ce que
l'on peut contrôler : on est blessé d'amitié, c'est vraiment quelque chose que l'on subit mais non comme une
passion qui vient de nous. Ensuite on peut ratifier ou ne pas ratifier cette relativité à l'autre. On peut très bien
dire : non, je ne veux pas exister en relation à cette autre personne pour telle ou telle raison. Mais on ne pourra
jamais complètement l'oublier. On pourra ne pas donner suite à une amitié, mais on reste blessé par rapport à cet
être et on le saura toute sa vie. On est marqué pour toujours, parce que ceux qui nous blessent d'amour dans
l'amitié sont des personnes qui jouent un rôle important à un moment de notre vie et nous dans la leur.
Malheureusement, il arrive que parfois on ne sache pas saisir ces dons d'amitié. Quand on acquiesce à cette
ouverture de l'amour d'amitié, on accepte de partager à un autre notre vie intime. On expose davantage sa
vulnérabilité à cet autre, mais on a moins peur de le faire parce qu'on distingue mieux l'affection d'amitié par
rapport aux convoitises des sens, aux fantasmes de l'imaginaire etc.
 

L'amitié rend l'effort oblatif plus facile et plus doux.
En effet, que cherche-t-on en voulant assouvir les besoins et les convoitises ? On se cherche soi-même. On
cherche des êtres à « consommer ». Or, « consommer » c'est consumer, anéantir en réduisant l'autre en tant
qu'autre. En revanche, le désir de l'amour d'amitié c'est que l'autre soit vraiment lui-même. Dans cette
perspective, les sacrifices qu'exige le respect de l'autre dans l'amitié sont assez faciles et doux, puisqu'on sait que
notre désir le plus profond ce n'est pas d'« avoir » l'ami, mais qu'il existe comme autre pour nous. En effet, si on
veut qu'il existe pour nous, il faut qu'il existe en lui-même. Si je veux l'« avoir » au prix de son existence
autonome, en forçant sa liberté, je n'aurai rien ou, pire, je n'aurai qu'une apparence illusoire. Il me satisfera au
niveau de ma convoitise immédiate mais, très rapidement, je me retrouverai avec rien, encore plus assoiffé, car
cette amitié que j'aurai consumée aura un goût de cendre.
 

La fidélité propre à l'amour d'amitié

Si on est prêt à vivre l'amitié dans la confiance en l'autre, on peut espérer avoir des amis, savoir les accueillir et
même aller à leur rencontre sur le chemin de la vie. Je ne dis pas qu'il faut chercher à tout prix l'Ami avec grand
A. Cet Ami nous l'imaginerions trop comme ce que nous aurions voulu être en une idéalisation quelque peu
idolâtre. Il faut accepter par avance les limitations de l'ami par rapport à nos attentes. De même, dans l'amour
d'amitié la fidélité n'est pas une fidélité exclusive, qui exigerait de ne pas avoir d'autres amis, mais celle de rester
fidèle dans cette communion qui s'est établie avec l'ami, au niveau le plus profond de notre être personnel. Cette
fidélité peut passer par des silences, des séparations, par beaucoup de renoncements qu'impose la vie, mais en
profondeur la communion subsiste. C'est pourquoi, dès que la présence de l'ami nous est rendue, la
communication se rétablit aussitôt, parce qu'on est resté ouvert à l'autre. Cette disponibilité peut être plus ou
moins actualisée, mais elle demeure. C'est cela la fidélité en amitié.
Il est vrai qu'on peut se trouver, selon le cas, dans des situations très différentes. Certains ont une expérience
positive de ce type d'amitié, même très positive : elle renvoie pour eux à des noms précis. D'autres ont une
expérience beaucoup plus douloureuse, en ce sens qu'ils ont eu des attentes qui ont été frustrées, parce qu'elles
n'ont pas rencontré de réponse authentique. D'autres sont en train de découvrir en eux-mêmes ce que peut être
ce désir profond d'amitié par delà les convoitises et les envies qu'ils avaient connues auparavant. Mais, peu
importe, l'essentiel c'est d'avoir entrevu la beauté de l'amour d'amitié et d'avoir pressenti que ce désir d'amitié est
latent en eux, même quand il se cherche à travers les expériences caricaturales et trompeuses de l'amour de
convoitise.
Si le désir d'amour d'amitié peut tellement se caricaturer dans des convoitises multiples, décevantes et parfois
même destructrices, c'est que celui-ci représente en lui-même quelque chose de très précieux pour l'homme.
Aussi, l'amour d'amitié est-il d'autant plus menacé qu'il donne sens à la vie humaine. Mais un tel trésor ne vaut-il
pas la peine d'être recherché à travers les rencontres humaines que nous faisons dans la vie, même s'il se présente
le plus souvent dans notre monde actuel comme un continent inexploré."

Source du texte:anonyme internet...
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